Brigitte Crittin est née à Sion (VS), elle vit et travaille à Genève.
Sa démarche artistique cherche à créer des liens entre la poésie et les arts plastiques : « Dans ma démarche artistique actuelle, je cherche à tisser des liens entre poésie et langage plastique, à donner aux mots une densité physique, une nouvelle ampleur dans l’espace. Avec une écriture aérienne et des matières très légères. » (BC)
Brigitte Crittin
Peindre la poésie : Rimes des cimes
Depuis une quinzaine d’années, Brigitte Crittin explore avec passion les relations entre peinture et poésie. Ses oeuvres se situent au cœur d’un nouveau processus poético-pictural, initié au début du 20e siècle par Stéphane Mallarmé, Guillaume Apollinaire, Sonia Delaunay, Philippo Tommaso Marinetti ou Kurt Schwitters dont les créations influenceront quelques grands courants artistiques moderne et contemporain : le Surréalisme, Fluxus, les Affichistes, l’Abstraction géométrique, le Lettrisme, Art and language. Dans l’esprit de ces pionniers, Brigitte Crittin met en espace des séries de mots, vers ou poèmes empruntés à des auteurs qu’elle affectionne : René Char, Rabindranath Tagore, François Cheng, Ghérasim Luca, Zéno Bianu. Ses œuvres se déclinent sur divers supports, généralement le calque, le plastique, le plexiglas, le papier radiographique. La transparence qui les caractérise assure une démultiplication des effets de luminosité, qui s’accentuent lorsque les pièces sont installées en suspension dans l’espace ou derrière une source de lumière. Enfin, puisqu’il s’agit de « peindre » la poésie, l’irruption de la couleur : peinture acrylique, pastel gras, encre de chine, pigments purs, rehausse et dynamise ses compositions qui, parfois, s’apparentent au vitrail.
La série d’œuvres, intitulée Rimes des cimes, s’inspire à la fois de paysages alpins, allusifs à son origine valaisanne (Chamoson), et de la poésie de Zéno Bianu, poète, dramaturge et essayiste français. Sur papier calque, Brigitte dessine des profils de chaînes montagneuses. Au traditionnel tracé du dessin, elle y substitue des vers de Zéno Bianu – choisis dans ses recueils Infiniment proche et Le désespoir n’existe pas (Poésie Gallimard, 2010-2016) –, qu’elle transcrit manuellement. Leur long défilement, horizontal, vertical ou oblique, esquisse alors la calligraphie d’un paysage, habité par le verbe poétique. Le maillage des chaînes de mots, interrompus par le silence d’espaces vides, pulvérise la parole pour s’adresser aux yeux avant l’intellect. Dans quelques compositions, cette écriture des cimes est habillée par des superpositions de médiums colorés, posés en aplats, par projections, frottages, grattages ou empreintes. Dans d’autres, recouvrements et jeux de matières s’épurent, laissant le réseau de signes linguistiques se propager seul sur la totalité de la surface.
Mais quelle est la place du dire dans la peinture ?
Si la poésie est une expérience de la libération du verbe, la peinture s’impose comme celle de la libération du geste, des contraintes spatiales, chromatiques et, plus symboliquement, des conventions représentatives. Par leur culture visuelle et leur pouvoir d‘interroger le monde, les artistes d’aujourd’hui ne se limitent plus à orner la lettre, comme le faisaient les enlumineurs du Moyen Age, mais la considèrent comme un authentique matériau visuel et plastique, susceptible d’exprimer l’indicible et l’inracontable, en termes syntaxiques. In fine, la place du dire dans les arts visuels ouvre une expérimentation de l’écriture, dans l’espace, le chromatisme et le regard, si peu sollicités par l’expression littéraire.
Françoise-Hélène Brou
22.07.2018