Hommage à Wojciech Mucha Carnets d’Atelier : La Période de l’Or

muchaLe Carnet d’atelier de Wojciech Mucha, paru en décembre 2008 quelques jours avant sa disparition, illustre sa période de l’or. Cet ouvrage précieux résonne comme le testament artistique d’un parcours initié il y a une dizaine d’années.

L’intérêt de l’artiste pour cette matière-couleur pourrait le situer à contre-courant des mouvements picturaux contemporains ou conférer à ses œuvres une connotation sacrée, précieuse ou passéiste. Certes la tentation existe tant il est vrai que l’or depuis des millénaires symbolise le pouvoir et le divin. Pourtant, plusieurs artistes majeurs du XXe siècle ont travaillé avec ce médium. Ainsi Andy Warhol a-t-il beaucoup utilisé l’or dans ses séries sur Marilyn représentée comme une icône byzantine ; Yves Klein avec ses « Monogold » des années 1960 explore le concept de monochromie; l’or est également présent dans l’œuvre de Giuseppe Penone pour activer la perception d’antiques fables ou mythes. Les artistes du Pop art, du Nouveau Réalisme ou de l’Arte Povera n’ont donc pas hésité à recourir à ce métal hautement évocateur pour exprimer des messages fort différents. Toute l’histoire de l’art, de l’Antiquité jusqu’au XXIe siècle, pourrait d’ailleurs se lire à travers les diverses utilisations symboliques, philosophiques, esthétiques ou fonctionnelles de l’or.

Les œuvres de la période dorée de Wojciech Mucha s’inscrivent pour leur part dans une démarche de matérialisation et de révélation de la lumière. Grâce aux  pouvoirs optiques de l’or, Mucha capte les émanations de la lumière qui se diffuse et s’immerge dans la couche chromatique sous-jacente du tableau pour ensuite, par réaction de conduction, irradier l’espace de la représentation et son environnement immédiat. Sur un plan que l’on qualifierait d’anagogique (littéralement méthode conduisant vers le haut), le projet implicite de l’artiste tendrait à entraîner le regard, des choses matérielles aux choses immatérielles, d’un monde inférieur à un monde supérieur, illustrant en cela les préceptes néo-platoniciens de l’Abbé Suger qui au XIIe siècle conçut le style gothique.

Tout en étant au plus près de la référence esthétique, de la matière, des sens et des formes plastiques, les peintures de Mucha suggèrent aussi une lecture conceptuelle questionnant notre culture contemporaine. L’abstraction géométrique et la dimension hyperbolique de l’or résonnent comme la métaphore d’une société de surconsommation qui, noyée dans le strass, les paillettes et dorures, agonise au milieu d’une trompeuse abondance, tel le roi Midas. Ainsi les surfaces aux ors subtils et vibrants de couleurs conduisent le regard et l’esprit dans l’essence symbolique de la matérialité pour expérimenter la loi de la vanité des choses et des êtres, celle que les Vermeer Rembrandt ou Metsys ont illustrée avec leurs Peseurs et Peseuses d’or ou de perles, qui ne sont qu’allégories profanes de la pesée biblique des âmes lors du Jugement dernier.  Ainsi la période de l’or chez Wojciech Mucha rejoint-elle la grande tradition des peintures de vanités, genre qui invite à la méditation sur la fugacité du temps et que l’artiste prolonge au cœur même de notre modernité.

Françoise-Hélène Brou

Wojciech Mucha, Carnet d’atelier, 80 p., texte, préface, illustrations. Ouvrage numéroté et tiré à 500 exemplaires, © W. Mucha 2008.