L’artiste plasticienne Elisabeth Beurret est passionnée de voyages, c’est d’ailleurs au cours de ses périples qu’elle enrichit et approfondit constamment ses techniques de fabrication du papier, s’inspirant des sources et traditions orientales, occidentales et océaniennes. Dans son univers, le papier est à la fois un matériau végétal d’une extrême diversité et un vecteur symbolique portant en lui les traces des diverses civilisations.
Ainsi à chacune de ses expositions, Elisabeth aborde une thématique spécifique où territoires, traditions culturelles et diversité botanique, deviennent les principaux acteurs de ses créations. L’artiste a par exemple produit des séries intitulées : Papiers des Marais d’Oléron, Papier des Méditerranées, Rouges de Marrakech, Papier Mémoire, Peau et Papier, Papier de Feuille, conduisant le spectateur à découvrir le langage polysémique du matériau papier. Grâce à un métissage de savoir-faire issus d’horizons multiples qu’elle maîtrise parfaitement, l’artiste découpe, déchire, superpose, colle, assemble, suture, transforme et transpose la nature simple et noble du végétal qui alors devient feuille, tableaux, panneaux, livres ou installations. Un processus qui singulièrement fait disparaître et oublier la plante qui a servi matériellement à la réalisation de l’œuvre. L’exposition à la Galerie 29 d’Evian constitue la suite d’une série consacrée au dragonnier dont la première étape, Rouge Dragon un hommage aux champs de couleur rouge de Mark Rothko, a été présentée en 2008 (Galerie Fallet, Genève). Il faut savoir que le dragonnier est une plante, le Dracaena draco-loliacea, des Iles Canaries qui peut s’élever jusqu’à 20 m de haut. Les Guanches premiers habitants de ces îles pensaient que sa résine, qui rappelle le sang, possédait des pouvoirs surnaturels. Commercialisée de longue date vers l’Europe occidentale sous l’appellation sandragon, elle servait de colorant dans l’alchimie alexandrine. Aujourd’hui elle est utilisée par les luthiers dans la confection de vernis.
Les œuvres récentes d’Elisabeth Beurret se caractérisent par le recours à la technique de l’estampage (sorte de frottage) à la pierre noire du dragonnier sur des papiers japon ou coton d’une extrême finesse. La plante ici se manifeste sous sa forme d’empreinte, il s’agit d’une image et non plus comme dans la série précédente du végétal lui-même, certes transformé et méconnaissable. Le résultat révèle un jeu subtil d’opacité et de transparence dans lequel le travail de la main dessinant – graphite, pierre noire, pastel gras, crayons de couleurs – organise l’espace des pleins et des vides, souligne, rehausse, colore, éclaire, obscurcit, les couches et sous couches de douces tonalités pastel. Et le regard traverse ces voiles translucides, plissés et ondoyants. La dimension graphique et picturale renouvelle le langage des papiers d’Elisabeth Beurret, car avec ses estampages de dragonnier, c’est désormais la plante qui écrit, décline et confie ses paradoxes à la page blanche.
Françoise-Hélène Brou, Article publié dans Scènes Magazine, mars 2010