La Fondation Pierre Arnaud de Lens poursuit un cycle hivernal initié avec succès l’an dernier par une première exposition consacrée au divisionnisme. La seconde étape présente les multiples facettes du réalisme pictural, un courant sans école ni période qui s’est particulièrement distingué aux 19ème et 20ème siècle.
L’un des principaux objectifs de ce cycle est de promouvoir les beaux-arts tout en mettant spécifiquement en relief la peinture suisse. Le parcours proposé par le commissariat d’exposition tente, à travers quelques regroupements thématiques, de répondre à la question : « Qu’est-ce que le réalisme ? ». Le spectateur est alors confronté aux genres fondamentaux : celui du paysage et de la nature morte, puis aux scènes de la vie quotidienne évoquant successivement la sphère familiale, le monde rural et urbain. Le traitement du nu ou du portrait offre, depuis le Déjeuner sur l’herbe (1863) de Manet, l’image d’une femme descendue de son Olympe pour imposer désormais sa présence corporelle et morale traduisant une forme, aboutie ou non, d’intégration sociale.
D’emblée la notion de réalisme associée traditionnellement à des valeurs d’objectivité et vérité mérite d’être relativisée, en effet la représentation de la réalité varie selon les époques, les croyances, les émotions. Aussi plutôt que de parler de « réalisme » est-il plus pertinent d’évoquer « des réalismes », tout en soulignant ce qui les rapproche et les différencie. Au delà de la diversité des genres, celles des techniques, des styles et manières constituent autant de moyens supplémentaires pour mieux apprécier cette «symphonie des contraires ». Ainsi l’académisme est-il illustré par les sobres natures mortes de Pieter Claesz (1659/60) et Heda Claesz Willem (1631), le Neuchâtelois Léopold Robert avec son Marinier napolitain avec une jeune fille de l’île d’Ischia (1825) nous en livre une version romantique, les nus crûs de Félix Vallotton quant à eux révèlent la puissance de la chair offerte au regard. La veine naturaliste des œuvres de Camille Corot, Gustave Courbet ou Barthélémy Menn entre en dissonance heureuse avec l’austérité d’un Albert Anker, mais se décline aussi sur des tonalités tour à tour impressionnistes, expressionnistes et symbolistes, représentées par des œuvres de Charles L’Eplattenier, Ferdinand Hodler, Gustave Caillebotte. Le langage plastique de la modernité offre également sa vision de la réalité : on découvre alors l’approche cubiste et géométrique de Le Corbusier, Fernand Léger ou Armand Niquille, l’hyper réalisme d’un Franz Gertsch.
Le traitement de la réalité sociale n’a pas échappé aux organisateurs de l’exposition, elle en constitue au contraire l’un des points forts. On découvre d’impressionnantes scènes de la vie ouvrière, par exemple les Lavandières (1890) du Russe Arkhipov, L’Atelier de boîtier (1893) d’Edouard Kaiser. Les Barquiers déchargeant des pierres (1888) de William Röthlisberger, La Maison du garde-barrière (1924). On atteint le paroxysme de cette dimension ouvriériste avec des œuvres telles que : Le Charpentier au-dessus du port (1900) de Steinlein, L’Equipe du matin (1929) de Otto Nagel, Le Travailleur (1936) de Mario Sironi, Le Travailleur blessé (1961) de Carlo Montarsolo.
Il faut également mettre en relief une section importante consacrée aux artistes suisses, à cet égard les peintres de l’Ecole de Savièse y jouent un rôle de premier plan. Parmi ceux-ci Ernest Bieler, Marguerite Burnat-Provins et Albert Chavaz recomposent un Valais idéalisé où la dure réalité des paysans de montagne, cette société d’un autre temps, acquiert une aura de paradis perdu. Le spectateur s’attardera, on l’espère, à découvrir un magnifique diaporama qui, grâce à une confrontation-juxtaposition de peintures, d’images et documents d’archives, reconstitue ce climat entre idylle et réalité.
Il y a enfin de petits joyaux qu’on n’a pas vraiment envie de classer dans un genre ou un autre, le seul plaisir de les contempler se substituant à toute démarche intellectuelle, on citera parmi de nombreuse pépites : une intemporelle Nature morte (1950) de Gérard de Palézieux, l’étonnante La Cantilène Sottomarina (1894) d’Edmond de Pury, la grâce ineffable de La Table (1989) d’Albert Chavaz, le sentiment de totale plénitude se dégageant des Glaneuses (s.d.) d’Eugène Burnand.
Cette exposition, riche en découvertes d’artistes et d’œuvres parfois peu connus, démontre que l’objectif visé par la Fondation Arnaud : « promouvoir les beaux-arts tout en mettant spécifiquement en relief la peinture suisse » constitue un créneau plein de promesses, on attend d’ailleurs avec impatience les prochaines expositions. Il s’avère finalement que l’implantation de ce centre d’art, au cœur d’un territoire alpestre mondialement réputé pour ses activités sportives, démontre que l’après-ski, l’après-golf, l’après-randonnée, peut se décliner sur un autre mode que celui de la raclette-fondue, du carnotzet ou de l’incontournable spa, cela étant l’un n’exclut pas l’autre.
Françoise-Hélène Brou