Entretien avec Jean-Yves Marin, Directeur du Musée d’art et d’histoire de Genève

Jean-Yves Marin, Directeur du Musée d’art et d’histoire de Genève

Ces dernières semaines, on a pu lire dans la presse romande plusieurs commentaires alarmistes concernant le projet de rénovation et d’extension du MAH, appelé désormais « Projet Nouvel ». Ainsi avons-nous appris coup sur coup : l’examen d’un crédit d’étude additionnel, l’éventuel retrait du mécène Jean-Claude Gandur, une expertise négative de la Commission cantonale des monuments de la nature et des sites. Autant d’informations jetant un froid sur l’évolution favorable de ce dossier. Certes la requête en autorisation de construire, déposée le 10 novembre dernier par la Ville de Genève propriétaire de l’institution, a été rejetée le 29 février par la Commission des monuments, de la nature et des sites, cela ne signifie pas pour autant que l’autorité cantonale délivrant l’autorisation suive cet avis. Dans ce contexte mouvementé, nous avons demandé à Jean-Yves Marin, directeur de l’institution, de répondre à nos questions.

Scènes Magazine : beaucoup de Genevois, et pas seulement des amateurs d’art, sont inquiets et préoccupés par l’aboutissement du projet de rénovation et d’extension du MAH. Que se passe-t-il exactement et où en sommesnous actuellement ?

Jean-Yves Marin : permettez-moi de dresser un bref récapitulatif de la situation qui répondra en partie à votre question. En 1998 la Ville de Genève lance un appel d’offre pour un projet de rénovation et d’agrandissement du musée, c’est le projet commun des Ateliers Jean Nouvel de Paris et Architectures Junker et DVK Architectes de Genève qui est retenu, sur les 34 dossiers présentés. Après une première phase de travaux, qui a vu le déplacement de plusieurs services dans l’ancienne école des Casemates, le Conseil municipal de la Ville accepte en 2004 une motion concernant la rénovation du musée. Puis en 2007, la Fondation pour l’agrandissement du musée est créée et le Municipal vote un crédit d’étude de 3,6 millions de francs. En 2010, la Ville de Genève signe une convention avec la Fondation Gandur pour l’art qui financera les travaux à hauteur de 50% et laissera en prêt au musée une partie de ses riches collections d’archéologie et de peinture moderne. Plus récemment, en octobre 2011, un crédit d’étude complémentaire est demandé au Conseil municipal, ceci afin d’intégrer dans le futur bâtiment les collections du Musée de l’horlogerie, fermé depuis 10 ans à la suite d’un vol mémorable. Donc pour résumer les choses, nous n’en sommes plus au pré-projet, mais prêts à démarrer le projet dont les composantes architecturales, techniques et muséographiques sont complètement bouclées.

SM : pourquoi le projet Nouvel suscite-t-il la controverse ? Quels sont les arguments des opposant ?

JYM : pour ce qui regarde l’opposition, il y a évidemment l’augmentation de l’enveloppe financière. Le projet a en effet été modifié depuis sa conception, il est aujourd’hui devisé à 127 millions de francs. Cette augmentation s’explique par l’intégration au projet initial du Musée de l’horlogerie qui ne dispose plus de musée public. Il n’aurait pas été concevable que l’horlogerie, fleuron de l’identité genevoise, ne trouve pas sa place dans les nouveaux espaces du musée. Cela dit ces coûts doivent être assumés à parts égales par la Ville de Genève et les partenaires privés qui sont toujours dans la course. D’autres opposants, comme l’Association Patrimoine Suisse Genève, ne veulent pas toucher à la cour intérieure du palais et contestent le système de plateaux imaginé par Nouvel. Il s’agit pourtant d’une structure transparente surmontée d’une couverture en forme de grande lame de verre. Ce dernier niveau, également transparent, abritera un restaurant panoramique, source d’autres critiques car il dépasse très légèrement la hauteur de l’ancienne toiture. Cela étant l’ensemble respecte parfaitement l’intégrité et l’identité du bâtiment historique. Les opposants proposent quant à eux une extension souterraine !

SM : à l’inverse, quels sont les arguments des partisans ?

JYM : ils sont nombreux à commencer par la bonne compréhension du projet par le monde politique en général, à l’exception des Verts et des extrêmes gauche et droite. Il faut souligner le fait, ce dont beaucoup n’ont pas conscience, qu’une rénovation simple entraînerait des coûts supérieurs à la réalisation du projet Nouvel, car elle nécessiterait non seulement une enveloppe de 85 millions, mais entraînerait aussi la perte de l’apport financier de la Fondation Gandur pour l’art ainsi que le dépôt de ses collections. Objectivement, il n’existe pas d’argument crédible contre le projet Nouvel, même pas celui du prix. Il est le seul en mesure d’augmenter très sensiblement les surfaces à disposition, représentant un gain de 7000 m2 , de regrouper de façon cohérente et en un seul lieu les collections encyclopédiques du musée et de maintenir ainsi son identité historique, unique en Suisse. Il n’existe par ailleurs pas de projet alternatif à celui de Nouvel. Beaucoup de faux bruits et de scories sont répandus par les opposants, précisément parce que nous sommes sur le point de trouver un consensus entre les divers partenaires privés et publics. Je reste confiant et même s’il faut aller au-devant d’un référendum et bien on en passera par là.

SM : si le projet aboutit, quelle place sera accordée aux collections de beaux-arts dans le nouvel ensemble, particulièrement celles des XXe et XXIe siècles ?

JYM : elles seront situées aux 2e et 3e niveaux. L’art moderne et contemporain, incluant la collection Gandur qui regroupe des oeuvres de la seconde moitié du XXe siècle, seront installés au troisième niveau. Le 4e niveau (soit 600 m2 divisibles en 2 x 300 m2) accueillera les expositions temporaires. Comme vous le savez peut-être nous travaillons d’ores et déjà à l’organisation de ces espaces, Mme Laurence Madelin, qui a occupé des postes importants au Musée d’Orsay et au Musée Picasso à Paris, a rejoint récemment notre équipe de conservateurs, celle-ci sera en charge des collections du XXe siècle. En ce qui concerne l’art contemporain, nous réfléchissons à une redéfinition de cet ensemble dans l’espace du futur musée.

SM : comment expliquez-vous la diminution drastique, voire l’interruption, des acquisitions dans le domaine de l’art contemporain qui scelle une rupture de la continuité historique de la collection de beaux-arts ? Il semble de manière plus générale que le MAH, à l’exclusion du Cabinet des arts graphiques, ait renoncé à toute prérogative en matière d’art contemporain.

JYM : il s’agit d’abord d’une question de priorité et ensuite de moyens financiers. Nous sommes un musée encyclopédique, ce qui oriente les choix d’acquisitions et les investissements financiers dans plusieurs directions. Pour l’heure, je ne suis pas partisan d’acheter de l’art contemporain, du moins pas tant que la politique d’achat en ce domaine ne soit mise à plat entre les divers intervenants, je pense au Fmac, au Fcac, ou au Mamco, et que les rôles de chacun soient clairement définis. Cela dit, je tiens à rester proactif et souhaite vivement ancrer la présence de l’art contemporain dans le nouveau musée, notamment dans l’espace consacré aux expositions temporaires. Par la suite, il faudra combler cette rupture historique et effectivement rattraper le temps perdu, car un musée qui n’acquiert pas la production de la veille est un musée mort. Enfin le sens architectural du projet Nouvel appelle naturellement l’intégration de l’art contemporain dans ses murs, je pense donc qu’après une période d’adaptation consécutive son ouverture, prévue à l’horizon 2017-18, le musée accueillera l’art contemporain.

Interview réalisée par Françoise-Hélène Brou, publiée dans Scènes Magazine (2012)